[Réflexions] Les limites de la gamifications

Bonjour à tous,

J’évoquais il y a quelques temps de cela le principe de gamification, à travers quelques vidéos et un powerpoint créé pour une formation donnée en Inde en juin 2016. J’aimerais revenir sur ce concept en citant quelques auteurs américains sur le sujet afin de réfléchir au bien-fondé de cette pratique tant vantée et appréciée, semble-t-il, aux Etats-Unis.

Tout d’abord, petit rappel, la gamification consiste en l’usage de techniques propres au jeu vidéo mais employées dans un cadre autre (comme l’enseignement pour notre exemple) afin d’engager l’élève, ou apprenant comme on peut le définir en FLE/FLS, dans une activité qu’il ne ferait pas de bon coeur sans cela.

Voici ce que dit Karl Kapp dans The Gamification of learning : « Game-based techniques or gamification, when employed properly, have the power to engage, inform, and educate. Gabe Zichermann who wrote the book Game-Based Marketing, defines the term gamification as the “process of using game thinking and mechanics to engage audiences and solve problems.”9 Amy Jo Kim, author of Community Building on the Web and a well-known designer of social games, defined the term gamification as “using game techniques to make activities more engaging and fun.”.

Karl Kapp

Si l’idée est séduisante à tel point que je la pratique quasiment quotidiennement dans mes classes, je me dois de nuancer malgré tout cet enthousiasme. Oui, le jeu vidéo permet d’engager les apprenants dans des activités ludiques qui lui permettent de travailler des compétences et connaissances nécessaires à sa maîtrise d’une langue, la langue française dans mon cas. Or, le flou réside dans le « when employed properly« .

En effet, au fil des mes discussions et formations à l’étranger, j’ai remarqué que certains instituts et enseignants voyaient le jeu vidéo comme une solution miracle. Autant abattre un mythe tout de suite, il n’y a pas de solution miracle. Ce n’est pas parce que l’on utilisera un jeu vidéo en classe que notre séance sera réussie ou que l’apprenant maîtrisera d’un coup de baguette magique tous les attendus de tel ou tel palier. Plusieurs facteurs peuvent anéantir l’impact positif de la gamification sur l’apprentissage d’une langue étrangère :

  • L’arrière-plan culturel
  • L’âge du public
  • Le type de jeu choisi
  • L’équilibre entre le ludique et le pédagogique

A) L’arrière-plan culturel

Travaillant depuis deux ans en Guyane, j’ai naturellement ramené de la métropole mon goût pour la gamification. Or, j’ai remarqué que certains de mes étudiants ne jouaient pas ou ne connaissaient pas les jeux que je présentais. La pauvreté en Guyane étant un fait, j’ai rapidement compris que le jeu vidéo était une pratique beaucoup moins courante qu’en métropole. Cette dernière présentait parfois peu d’intérêt pour les élèves ou était, il me semble, bien trop éloignée de leur arrière-plan culturel. Les élèves de l’Ouest guyanais sont pour beaucoup des bushinengue (population noire créole provenant du Suriname, pays voisin).

La Guyane, au milieu du Brésil et du Suriname

Mes élèves d’UPE2A en banlieue parisienne (Saint-Ouen (l’Aumône, 95) étaient facilement engagés dans mes cours. En effet, souvent j’entendais des remarques comme « Oh c’est une PS3 ? », « Je connais ce jeu », etc. J’avais même des élèves qui poursuivaient à la maison certains jeux commencés en classe. Nous partagions le même loisir, à la maison et à l’école, de quoi faciliter l’acceptation de ma proposition et donc leur engagement dans le jeu et de fait dans une activité pédagogique.

B) L’âge du public et le type de jeu choisi

Il ne faut pas sous-estimer les différences d’âge, en particulier l’écart entre le collège et le lycée. Mes élèves de collège en UPE2A allaient de 12 à 16 ans maximum. Déjà à l’intérieur de ce panel, j’observais des réticences, le plus souvent rapidement balayées, de la part de mes élèves les plus grands (3ème). En effet, pour eux jouer aux jeux vidéo pouvait être une pratique « non sérieuse » (donc exclue du champ scolaire) ou « infantilisante ».

J’ai souvenir que le jeu Where is cat ? de Bart Bonte était vu par certains de mes élèves comme non pas une insulte mais un manque de considération de leur maturité. J’ai retrouvé ce type de comportement en Guyane. Certains élèves étaient entousiasmés à l’idée de jouer, d’autres voyaient cette pratique et plus que la pratique les jeux proposés comme un mépris de leur intelligence. Il faut donc choisir avec discernement les jeux vidéo utilisés en classe. Si certains sont universels, d’autres sont très marqués au niveau des âges du fait d’un choix de musique, de couleurs, de la présence d’une narrateur, etc. Ce qui marchera avec un élève de 6ème peut ne plus fonctionner avec un 3ème.

Where is cat ? de Bart Bonte

C) L’équilibre entre le ludique et le pédagogique

C’est probablement le paramètre le plus délicat à prendre en compte et à gérer. Je suis pour ma part partisan des jeux vidéo commerciaux, ou « classiques ». J’entends par là les jeux vidéo proposés à la vente comme des biens de consommation, des produits culturels, chroniqués sur les sites spécialisés, etc. J’essaie d’éviter les jeux vidéo sérieux, serious games, car il présente un défaut majeur souvent : une volonté pédagogique écrasante.

Un jeu vidéo pour qu’il reste engageant doit demeurer fun comme dirait Raph Koster dans A Theory of fun. Si je commence à utiliser un jeu vidéo pour y plaquer de manière arbitraire, trop fréquente, un contenu pédagogique, je risque d’ennuyer mes apprenants. Il faut savoir guider l’apprenant pour le pousser à développer des stratégies : de compréhension, d’expression orale ou écrite. Comme je le présente dans mes séances, il faut faire confiance au jeu pour nous aider à développer des compétences communicatives chez l’élève ainsi que le châpelet de connaissances qui va avec. Au professeur de jouer les chefs d’orchestre et de faire confiance autant au jeu qu’à l’apprenant.

Fun everywhere 

En résumé, le jeu vidéo utilisé en contexte d’enseignement d’une langue étrangère est un outil précieux. Non pas unique et supérieur aux autres mais incroyablement utile si ce dernier est utilisé à bon escient. Ayez donc en tête les « quatre dangers » de la gamification pour gamifier correctement vos séances.

 

Un commentaire sur “[Réflexions] Les limites de la gamifications

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  1. Merci pour cet article ! Un petit point que je souhaite éclaircir cependant : il ne me semblait pas que la « gamification » faisait uniquement référence aux jeux vidéos mais bien à toute mécanique de jeu, quelle que soit son origine. Ai-je tout faux ? J’aurais tendance à vouloir renommer ton article « Les limites du jeu vidéo en classe ».

    Au plaisir d’en discuter avec toi !

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